Premier tour de la Coupe de Suisse: ce dimanche, le FC Schönberg, du nom d’un quartier populaire et populeux de Fribourg, reçoit Young Boys, club de la capitale, club aux quinze titres nationaux. La fièvre monte-t-elle sur les bords de la Sarine? Reportage.
Jour J-3: nous sommes jeudi à Fribourg et dans trois jours, le FC Schönberg, club de 2e ligue, rencontrera le grand Young Boys, quinze fois champion de Suisse et actuel leader de la Super League. Nous sommes à trois jours de ce match historique et on vient du monde entier pour assister à l’avant-dernier entraînement du FC Schönberg: ils sont venus, ils sont tous là, il y a des Espagnols, des Sardes, des Argentins, des Panaméens, tous en costume traditionnel, qui convergent vers Saint-Léonard pour voir David s’apprêtant à défier Goliath…


Attention! On s’emballe quelque peu, on confond les Rencontres de folklore internationales, qui se tiennent à Fribourg, avec le premier tour de la Coupe de Suisse. Ce qui est vrai, c’est que dimanche, à 17 h, sur le terrain de Saint-Léonard, le FC Schönberg, vainqueur de la Coupe fribourgeoise au mois de mai (4-1 contre Ursy devant 1633 spectateurs), recevra Young Boys, et ça, ce n’est pas du folklore. «Schönberg-YB, on ne pouvait pas rêver mieux! Il y aura 3000 ou 4000 spectateurs dimanche à Saint-Léonard. Des collègues de Winterthour m’en parlent!» s’exclame Nicolas Braidi, joueur de la deuxième équipe (3e ligue), qui vit au Schönberg: «J’habite route Monseigneur-Besson 8 et j’ai toujours vécu à route Monseigneur-Besson 8. Ce match, c’est l’affiche idéale. Young Boys, c’est le club où voudraient jouer tous les gamins du quartier et c’est ce qu’a réussi à faire Félix Mambimbi: il est né ici et il porte aujourd’hui le maillot de Young Boys!»
«On ne parle que de ça»
Passé l’enthousiasme de Nicolas Braidi, la vérité oblige cependant à dire que la fièvre ne monte pas à El Schönberg: il faut chercher les affiches de la rencontre et on finira par trouver sur un mur une photocopie A4, inaccessible aux presbytes. Route Mon-Repos, on arrête un père de famille, derrière une poussette: «Un match contre Young Boys, dimanche? Non, je ne savais pas.» En marge du terrain de football, cerné par les immeubles, un athlète stimule sa musculature et un groupe de gamins: «Il faut un peu leur tirer les oreilles, aux petits, dit Imran. Schönberg-Young Boys? Non… Vous tombez mal, moi, je ne suis pas foot, plutôt basket, je vais voir des matches de temps en temps, et du sport de combat, MMA, kick-boxing…»
Un peu plus loin, sur le gazon, un garçon s’échauffe avant l’entraînement des juniors C du FC Schönberg. Il ne faut pas dire son nom, car il est sur le point d’être transféré et l’entraîneur, qui aligne les plots, est tendu à l’heure du mercato: «Je ne savais pas que Schönberg jouerait contre Young Boys. Moi, je suis les matches sur Instagram…», avoue la future recrue des juniors C du FC Schönberg. Deux adolescentes, Arij et Solyana, traversent le terrain de football et, elles aussi, n’ont pas entendu parler de ce match… Pas plus que Su, pourtant membre fondateur du FC Schönberg et qui vient d’inscrire son fils, Brandon, au club.
Cinq adolescents, dont quatre fumeurs, sont assis sur une table de ping-pong, devant le Centre d’animation socioculturelle du Schönberg qui est à côté de la gendarmerie. C’est peut-être pour ça qu’ils ont placé, disent-ils, un guetteur sur le balcon, là-haut. Ils portent le survêtement taille basse et l’un d’eux arbore les couleurs de Manchester United. Ils se foutent sensiblement de notre gueule: «Le match? Ouais, on ne parle que de ça!» Acceptent-ils d’être photographiés? «Pourquoi?» demande l’un. «Pour être dans le journal, bouffon!» est la réponse. Ils veulent dix francs pour poser, la discussion s’arrête là et nous quittons ce groupe fumeux, pleinement rassurés sur l’avenir du football fribourgeois: «Les trois, là, on est tous dans le team de l’AFF (Association fribourgeoise de football).» Ouais, ouais.
Le pronostic du gardien
Enfin, il y a Uke, junior C du FC Schönberg: «Je serai dimanche à Saint-Léonard, je serai ramasseur de balle.» Il fait ce qu’il peut pour que la pression monte autour de l’événement: «Sur Instagram, j’ai posté deux stories sur le match Schönberg-YB.» Avec quel écho? «J’ai eu trois likes… Oui, je connais les trois qui ont liké.» Uke n’a peur ni du risque ni de la provocation: «Sur le compte de Young Boys, j’ai prédit une victoire 3-1 de Schönberg, juste pour les énerver.» Personne, dit-il, n’a réagi à cette déclaration de guerre.
À deux kilomètres de là, sur le terrain synthétique de Saint-Léonard, les joueurs du FC Schönberg arrivent les uns après les autres. Ils soignent les blessures consécutives à un match qui se prétendit amical: «Je me suis pris un Caran d’Ache sur la cuisse», dit Blerton en se tordant de douleur sous l’effet d’un appareil massant. Un pronostic? «6-0 pour Young Boys!» lâche Blerton, qui se fait tancer par un coéquipier: «Tu n’as pas le droit de dire ça avant un match!» «Si, j’ai le droit, je suis le gardien!» réplique Blerton. «6-0 pour Young Boys», confirme Ahmet. «6-2, si j’étais là», ajoute-t-il, car Ahmet, l’attaquant, se remet d’une opération au dos.
Les frères Sefa, les piliers du club
Blerton Sefa, Ahmet Sefa et Shqiprim Sefa: les trois frères qui sont les piliers de ce FC Schönberg. À ces trois noms, il faudrait ajouter celui de Valon, qui fut jusqu’au printemps l’entraîneur de la première équipe. Il est parti entraîner La Tour-de-Trême/Le Pâquier en 2e ligue Inter et tout le monde, autour du terrain de Mon-Repos, y voit une consécration. «Depuis 2013, explique Maxime Meyer, président de l’Association du quartier du Schönberg, la fratrie Sefa, qui est née et qui a grandi ici, a porté le club de football: en quelques années, la première équipe a fêté deux promotions et gagné deux coupes fribourgeoises. C’est quelque chose d’assez incroyable. Je crois que le football a apporté une certaine fierté aux habitants du Schönberg, un quartier qui souffre de préjugés.» Le Schönberg qui, sur la mappemonde des assimilations, se confondait avec le Bronx.
Shqiprim Sefa, buteur en finale de Coupe, a succédé à son frère au rôle d’entraîneur. Il sait que le match sera difficile, il se souvient d’une lourde défaite en Coupe de Suisse, en août 2019, contre Olympique Genève: 5-1. «Ils étaient bien plus forts», souffle-t-il. Alors Young Boys, ce sera autre chose que cette équipe de 1re ligue: «Bien sûr qu’on ne va pas aller les chercher, annonce Shqiprim Sefa. Nous allons défendre bas, rigoureusement… YB est une des meilleures équipes du championnat, elle écrase tout. C’est une chance et une fierté de pouvoir l’affronter devant notre public, notre famille. J’espère juste qu’on ne va pas se prendre dix buts… Mais nous ne sommes que des amateurs, des boulangers, des électriciens… Nous n’étions que huit la semaine passée à l’entraînement, parce que les autres étaient en vacances. Je ne pouvais pas leur dire: ne partez pas en vacances, la semaine prochaine nous affrontons Young Boys! Nous nous entraînons deux fois par semaine et, cette semaine, exceptionnellement, trois.»
Le photographe réclame Shqiprim: il court enfiler le maillot spécialement dessiné pour la Coupe, un maillot rouge, estampillé au verso de la date inoubliable du 21 août 2022, flanqué au recto du logo d’une entreprise d’électricité. «C’est mon entreprise, lance-t-il. Eh oui, on doit tout faire: entraîneur, joueur et sponsor! On est des amateurs!»